Banc râteau
L’agriculture étant devenue presque invisible ici. Il n’y a plus de foins à récolter. A quoi pouvait donc servir cet ancien râteau faneur posé là, devant la terrasse, à la vue de tous ?
Les années passaient, et à chaque printemps, les herbes hautes submergeaient l’engin. En automne, au moindre coup de vent, les feuilles tombant des arbres venaient immanquablement y camper. En hiver, la vue d’un truc tout rouillé habité par les toiles d’araignées, les bruyants oiseaux de mauvais augure, et toujours autant de feuilles indisciplinées. C’était l’affreux décor de la propriété qu’il fallait contourner, cacher. Et alors en été pensez vous ? Il restait bien trop près des chaises longues du propriétaire pour le laisser rêver paisiblement à sa grande prairie papillonnante. L’harmonie des choses n’y était plus, c’était clair ! Il était devenu sans le savoir un étranger, trop visible, trop ennuyeux, malgré tout ce qu’il avait donné au cours de sa vie difficile.
Tous les détendre, les libérer, serait facile ! Me dis-je alors en observant le tableau.
Deux trois mots magiques, voir moins, aux Propriétaires, et hop. Joyeux d’imaginer leur prairie s’éclaircir, ils acceptèrent avec une joie non dissimulée de la dégager du méprisable innocent, en me l’offrant bien volontiers. Hop, heureux, eux, moi, et l’affreux à longues griffes !
Dégagé de son triste environnement , je le déposits délicatement dans la camionnette, l’outil étant déconseillé attelé sur les routes bitumées ! Et hop, plus vite que l’éclaire, nous sommes partis à la recherche d’une seconde vie bien plus douce et précieuse !
Eh oui, la décision était prise. Le râteau se verrait offrir une nouvelle vie, une nouvelle place. Celle incroyable du Boss, du chef d’orchestre, du suprême observateur de pelouses. Mais tout en gardant précieusement le contact avec ses pâquerettes favorites.
Quel bonheur ce fut pour moi de pouvoir enfin lui faire admirer un autre bolide appelé tondeuse, raser, et re-raser sans cesse, saison après saison sa nouvelle prairie ! Là, juste devant lui, et ses lames affûtées, rutilantes, définitivement reposées.
Au combien heureux il resterait là, calme, presque tranquille, libre de contempler sans cesse les stupéfiantes saisons, et leur pouvoir de rendre tout merveilleux. Pour ça, Il lui fallu tout de même accepter que désormais, toujours, il soutiendrait sur son dos quelques menues planchettes , et parfois même deux trois humains bavards et remuants.
Désormais, dame nature, l’irréductible illusionniste lui peindrait son dernier tableau, chaque jour !
- quelques planches
- quelques visses
- un peu plus d’huie de coude